Le risque nucléaire

 

Il faut se rendre à l'évidence, statistiquement* parlant la France n’est pas totalement à l’abri du risque nucléaire.  En raison du sérieux apporté à ses dispositifs de sécurité, elle n'a eu pour l'instant à subir avant 1982 que des rejets radioactifs mineurs de niveau 4 sur l’échelle internationale des événements nucléaires (INES. Les autres incidents après cette période n’ont été que de niveau 2, à savoir l’arrêt d’un réacteur suite à inondation à la centrale de Blayais (Gironde) en 1999 puis à la centrale EDF de Cruas-Meysse. Mais la France est le pays le plus nucléarisé au monde devant la Russie, les USA et le Japon et pour cette raison rien ne permet de penser qu’elle est à l’abri d’un accident grave comparable à celui de Three miles Island aux USA en espérant qu'il ne sera pas aussi redoutable que ceux de Tchernobyl et de Fukushima de niveau 7. Le  président de l'autorité de sureté nucléaire ASN que l'on peut qualifier de gendarme du nucléaire a expliqué que personne ne peut garantir qu'il n'y aura jamais d'accident nucléaire en France au travers de cette formule : "Nous savons aujourd'hui que l'improbable est possible." Pour minimiser encore le risque, les consignes de l'ASN vont contraindre les exploitants à "des travaux massifs".  Le coût de 10 milliards d'euros évalué par le PDG d'EDF, Henri Proglio, serait  "un ordre de grandeur raisonnable". Ces travaux s'étaleront sur plusieurs années, le calendrier des prescriptions courant jusqu'à 2018. Un peu moins peut-être que l’échéance de 2022 pronostiqué par nos amis allemands pour se désengager du nucléaire alors qu’ils le sont seulement à 22% comparé à la France qui l’est à 80%. L’essentiel des dispositifs de sécurité qui nous permet d’éviter un accident grave (niveau 6) ou majeur (niveau 7) semble être selon l'autorité de sureté nucléaire* (ASN), le renforcement de l'enceinte du réacteur et les dispositifs assurant le refroidissement du cœur du réacteur en cas d’incident pour éviter sa fusion. Ce dernier dispositif qui utilise l’eau en très grosse quantité comme fluide de refroidissement doit fonctionner impérativement sans défaillance dès que cela est nécessaire quelquesoit le temps d’immobilisation et la nature de l'aléa naturel (tremblement de terre, inondations). Il doit être entretenu régulièrement et sécurisé au maximum avec l’espérance qu’il ne servira jamais. Consciente du risque nucléaire, la France a demandée un audit de son parc de centrales à l'ASN qui vient de remettre son rapport début 2012 au gouvernement français en proposant rarement la fermeture des sites mais plutôt la réalisation de modifications, parfois lourdes, tendant à améliorer la sécurité sur nos plus anciennes centrales. Le solaire ne fera donc pas trop d'ombre au nucléaire à condition que l'on remette la nature à l'identique s'il faut "fermer" et que l'on fasse - intégralement les travaux recommandés par l'ASN - si l'on juge que les frais à engager restent acceptables.

Ce constat valant selon notre ministre de l'écologie - pour toutes les centrales nucléaires françaises.

 

 

 

* Accident nucléaire : une certitude statistique

 

Benjamin Dessus, ingénieur et économiste, président de Global Chance.

Bernard Laponche, physicien nucléaire, expert en politiques de l’énergie.

 

Le risque d’accident majeur dans une centrale nucléaire a été généralement considéré comme la combinaison de la gravité extrême d’un tel accident et de la très faible probabilité de son occurrence. Certes la multiplication de zéro par l’infini pose quelques problèmes mais les promoteurs du nucléaire, mettant en avant cette très faible probabilité, affirmait « qu’il n’y avait aucun danger ». Si la gravité des conséquences d’un tel accident a bien été confirmée par Tchernobyl et Fukushima, que peut-on dire aujourd’hui de la probabilité de son occurrence ? Il y a deux méthodes pour estimer la probabilité d’un accident : la méthode théorique qui consiste à la calculer sur la base de scénarios de simulation d’accidents prenant en compte les systèmes de défense et les risques de dysfonctionnement ; la méthode expérimentale qui consiste à prendre en compte les accidents survenus (ce que l’on fait par exemple pour les accidents de voiture). Les résultats de l’approche théorique, issus des travaux des experts de la sûreté nucléaire, nous indiquent que, pour les centrales actuellement en fonctionnement dans le monde, on distingue deux types d’accidents : «l’accident grave » avec fusion du cœur du réacteur, dont la probabilité serait de moins de 1 pour 100 000 « année réacteur » (un réacteur fonctionnant pendant un an) et «l’accident majeur », accident grave non maîtrisé et conduisant à d’importants relâchements de radioactivité, dont la probabilité serait de moins de 1 pour 1 million d’année.réacteur.

Le parc actuel de réacteurs des centrales nucléaires étant estimé à 14 000 années réacteur, ce qui correspond à environ 450 réacteurs fonctionnant pendant 31 ans, la probabilité théorique ainsi calculée conduit à un résultat de 0,014 accident majeur pour l’ensemble du parc et pour cette durée de fonctionnement. Résultat très faible : l’accident majeur serait donc extrêmement improbable, voire impossible. Mais, sur ce parc, cinq réacteurs ont connu un accident grave (un à Three Mile Island, un à Tchernobyl et trois à Fukushima), dont quatre sont des accidents majeurs (Tchernobyl et Fukushima) : l’occurrence réelle est environ 300 fois supérieure à l’occurrence théorique calculée. Cet écart est considérable et conduit à un constat accablant quand on prend conscience de la pleine signification de ces chiffres. La France compte actuellement 58 réacteurs en fonctionnement et l’Union européenne un parc de 143 réacteurs. Sur la base du constat des accidents majeurs survenus ces trente dernières années, la probabilité d’occurrence d’un accident majeur sur ces parcs serait donc de 50% pour la France et de plus de 100% pour l’Union européenne. Autrement dit, on serait statistiquement sûr de connaître un accident majeur dans l’Union européenne au cours de la vie du parc actuel et il y aurait une chance sur deux de la voir se produire en France. On est très loin de l’accident très improbable...Et cela sans prendre en compte les piscines de stockage des combustibles irradiés, les usines de production et d’utilisation du plutonium, les transports et stockages des déchets radioactifs.

Plutôt que de continuer à calculer des probabilités surréalistes d’occurrence d’événements qu’on ne sait pas même imaginer (cela a d’ailleurs été le cas pour Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima),  n’est-il pas temps de prendre en compte la réalité et d’en tirer les conséquences ? La réalité c’est que le risque d’accident majeur en Europe n’est pas très improbable, mais au contraire statistiquement sûr. Croyez vous que si on le disait comme cela aux Français, il s’en trouverait encore beaucoup pour faire l’impasse sur le risque au prétexte du « on ne peut pas faire autrement » ?

                        Libération du vendredi 3 juin 2011

"L'avenir arrive souvent plus tôt que prévu." 

(Rufus Agnostyle Junior)

Louis Trabut